Au Nord-Kivu et au Sud-Kivu, la guerre ne se joue plus uniquement sur le terrain militaire. Une autre bataille, tout aussi redoutable, se déroule sur les réseaux sociaux. Des vidéos authentiques mais sorties de leur contexte, parfois anciennes ou manipulées, circulent massivement sur WhatsApp, Facebook et TikTok, alimentant la peur, la confusion et la désinformation au sein des populations locales.
Selon les analyses de médias spécialisés en vérification de faits, dont Congo Check, près de 80 % des fausses informations qui circulent actuellement dans l’Est de la République démocratique du Congo proviennent du recyclage d’images anciennes. Ces vidéos, filmées lors de conflits au Mali, au Soudan ou lors d’événements passés en RDC, sont présentées comme des scènes récentes liées aux affrontements impliquant l’AFC-M23, les FARDC ou les groupes Wazalendo.
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Cette désinformation repose sur plusieurs mécanismes bien identifiés : l’existence de groupes structurés de propagande liés aux différentes parties au conflit, le vide communicationnel laissé par la lenteur ou le silence des sources officielles, la diffusion virale en circuit fermé sur WhatsApp, difficilement contrôlable, ainsi que l’usage croissant de montages numériques et d’outils d’intelligence artificielle pour falsifier des images ou des discours.
Vidéo virale n°1 : le prétendu guichet de la Bank of Kigali à Goma
Depuis octobre 2025, une vidéo largement partagée sur les réseaux sociaux prétend montrer l’ouverture d’une agence de la Bank of Kigali (BK) au centre-ville de Goma, présentée comme une preuve de la « normalisation » de l’occupation rwandaise dans une ville sous administration de l’AFC-M23.
Vérification des faits : après une descente sur le terrain et un recoupement avec les données de Congo Check, il apparaît que le guichet filmé existe bel et bien, mais ne se situe pas à Goma. Il est implanté du côté rwandais, au sein du bâtiment de la Grande Barrière – La Corniche, un poste frontalier à guichet unique construit par la fondation Howard G. Buffett. Bien que les services de migration congolais et rwandais y cohabitent, le guichet de la BK est physiquement installé au Rwanda. Cette installation est antérieure à la crise actuelle et ne constitue en aucun cas une nouvelle implantation bancaire à Goma.
Vidéo virale n°2 : la prétendue fuite du Gouverneur du Sud-Kivu
Le 29 octobre 2025, des vidéos montrant des mouvements de troupes circulent sur WhatsApp et Facebook, accompagnées de messages affirmant que le Gouverneur M23 du Sud-Kivu, Patrick Busu Bwa Ngwi, aurait fui Bukavu à 2 heures du matin, face à une avancée des Wazalendo.
Vérification des faits : cette information s’est révélée être une manipulation. Le porte-parole de l’AFC-M23, Oscar Balinda, a publiquement démenti ces allégations, déclarant : « Tout est faux ». Pour lever toute ambiguïté, le Gouverneur Patrick Busu Bwa Ngwi a lui-même diffusé une vidéo de preuve de vie, filmée le 31 octobre 2025 à Bukavu, dans laquelle on le voit échanger calmement avec des cadres de base de la ville, appelant à la paix et à la reconstruction.
Une arme numérique aux effets bien réels
Au Kivu, la désinformation n’est plus une simple erreur de communication : elle est devenue une arme de guerre. Elle vise à manipuler les émotions, provoquer la panique, influencer les comportements collectifs et affaiblir la cohésion sociale.
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Les principaux vecteurs de diffusion sont identifiés : une diaspora souvent éloignée des réalités du terrain, qui relaie des contenus par conviction politique ou patriotique ; des pages de “Breaking News” et chaînes WhatsApp créées dans une logique de monétisation et de sensationnalisme ; le retard de communication officielle ; et un climat de peur qui pousse les populations à partager sans vérifier.
Face à cette avalanche de contenus non vérifiés, la prudence s’impose. Avant de relayer une vidéo choc reçue sur les réseaux sociaux, il est essentiel de se poser trois questions : qui l’a filmée ? où et quand ? et dans quel but est-elle diffusée ? En cas de doute, il est recommandé de se référer aux médias certifiés et aux plateformes professionnelles de fact-checking.
Joseph Aciza

