À Bukavu et dans plusieurs territoires du Sud-Kivu, de simples rumeurs liées à la guerre du M23 suffisent à paralyser la vie quotidienne. Écoles fermées, marchés désertés, familles cloîtrées à domicile ou en fuite : depuis plusieurs mois, des informations non vérifiées, largement relayées sur les réseaux sociaux et dans les groupes WhatsApp, provoquent régulièrement panique et psychose au sein de la population.
L’un des épisodes les plus marquants remonte à février 2025, lorsque la ville de Bukavu est officiellement passée, le dimanche 14 février, sous contrôle des rebelles du Mouvement du 23 mars (M23). Mais bien avant cette entrée effective, la peur s’était déjà installée à la suite de rumeurs persistantes annonçant une prise imminente de la ville.
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Le vendredi 12 février, des coups de feu sont entendus dans plusieurs quartiers de Bukavu. À la faveur de la disponibilité de l’électricité et de la connexion internet, des messages et audios circulent rapidement sur les téléphones portables, affirmant que des affrontements opposent les FARDC aux rebelles du M23 aux portes de la ville. La réalité s’avérera plus tard différente : il s’agissait de jeunes qui s’étaient emparés d’armes abandonnées par des militaires lors de leur repli. Entre-temps, notamment dans la commune d’Ibanda, de nombreux habitants se sont enfermés chez eux pendant plus de deux jours, craignant des combats urbains.
La rumeur provoque aussi des déplacements de populations. Des familles quittent précipitamment leurs maisons pour se réfugier dans des villes voisines ou dans des pays frontaliers. Les écoles et universités sont directement affectées. Des informations non fondées affirment que des étudiants seraient enlevés sur le chemin de l’université, notamment à Karhale, cité universitaire de Bukavu. Par peur, les étudiants cessent de fréquenter les auditoires. Certaines universités restent fermées pendant près de trois mois, accumulant un important retard académique. La reprise des cours se fera progressivement, dans un climat de méfiance.
Les conséquences psychologiques sont lourdes. Aline Naweza, mère de famille, raconte avoir frôlé une crise cardiaque au mois de mars après avoir entendu une rumeur annonçant une entrée imminente des Wazalendo dans la ville, alors que son fils de trois ans se trouvait déjà à l’école maternelle.
« Ce matin-là, ça a été un cauchemar. Mon fils était seul, loin de moi, et la ville était en désordre à cause de ces informations disant que les Wazalendo arrivaient. Toute la maison a paniqué. Grâce à Dieu, j’ai vu mon enfant revenir sain et sauf vers 8 heures, lui qui part habituellement avant 7 heures », témoigne-t-elle.
Ce jour-là, des parents sont aperçus courant dans les rues et sur les grands axes pour récupérer leurs enfants à l’école. Finalement, aucun affrontement n’a lieu, mais les écoles, les marchés et plusieurs activités économiques sont suspendus pour la journée.
D’autres rumeurs annoncent régulièrement que les rebelles du M23 se trouveraient à quelques kilomètres de Bukavu, incitant la population à faire des stocks de nourriture, d’eau potable et de médicaments. Ces alertes se répètent sans qu’aucune présence rebelle ne soit confirmée dans la ville, alimentant un cycle de peur et d’épuisement.
Pour Patient Mwirhonzi, activiste de la société civile, ces rumeurs sont devenues une réalité quotidienne avec laquelle la population tente de composer.
« Plusieurs fois, les marchés et les écoles n’ont pas fonctionné uniquement à cause de rumeurs. Des audios et messages parlent d’une incursion des Wazalendo. Moi-même, j’en ai été victime au marché de Nyawera : on disait qu’un véhicule venant de Panzi tirait dans tous les sens. Tout le monde a fui, et au final, il ne s’est rien passé », explique-t-il.
Le phénomène ne touche pas uniquement Bukavu. Dans les territoires environnants, souvent proches des zones de combats, la situation est similaire. À Mudaka (Kabare), Mugogo (Walungu), Muku, Nyatende ou Katana, la moindre rumeur entraîne le retour précipité des enfants à la maison, la fermeture des écoles, l’arrêt des activités parascolaires et la paralysie des marchés.
Un autre épisode récent illustre cette dynamique. Le mardi 23 décembre 2025, des messages contradictoires circulent à Bukavu. Certains appellent la population à participer à une marche pacifique en soutien aux populations d’Uvira et des zones occupées par le M23, prétendument organisée par la société civile.
D’autres messages invitent les habitants à rester enfermés chez eux, affirmant que la marche serait un piège destiné à provoquer des tirs contre la population. Par crainte, de nombreux étudiants ne se rendent pas à l’université. La marche aura finalement lieu sans incident sur le lieu de l’événement, même si des coups de feu ayant causé des pertes humaines sont signalés dans d’autres quartiers de la ville, ravivant aussitôt de nouvelles rumeurs d’incursion des Wazalendo pour le lendemain, 24 décembre 2025.
Dans ce contexte, acteurs de la société civile et observateurs s’accordent à dire que la désinformation numérique est devenue une arme à part entière dans la guerre à l’Est de la RDC. Réseaux sociaux, groupes WhatsApp et messages vocaux transforment chaque citoyen en relais d’information, souvent sans vérification, avec des conséquences immédiates sur la sécurité, l’éducation et l’économie locale.
Cet article est produit dans le cadre du projet : Renforcement des capacités des jeunes journalistes et activistes pour la paix et la résilience dans l’Est de la RDC » soutenu par le Fonds Kris Berwouts et la Fondation Roi Baudouin.
Sylvie Bahati

