À Bukavu, chef-lieu du Sud-Kivu, les fausses alertes sécuritaires diffusées sur les réseaux sociaux en forme de désinformation ont un impact direct et quotidien sur l’économie locale. Messages vocaux alarmistes et publications non vérifiées sur WhatsApp, Facebook ou TikTok paralysent les transports, vident les marchés et fragilisent les petits commerces, déjà éprouvés par des années d’instabilité sécuritaire.
Dans cette ville de l’est de la République démocratique du Congo, la désinformation est devenue une menace invisible mais redoutable, capable de bloquer toute activité en quelques minutes. À la moindre rumeur d’attaque ou d’affrontement armé, les motos cessent de circuler, les taxis restent stationnés et les commerçants ferment précipitamment leurs étals.
Riziki Nzika, motard, en fait régulièrement l’amère expérience.
« Un jour, on m’a alerté sur des barricades enflammées sur le tronçon Essence–Panzi–Nyatende. J’ai annulé tous mes trajets. Finalement, ce n’étaient que des déchets brûlés au bord de la route. J’ai perdu toute ma recette journalière, environ 30.000 francs congolais », raconte-t-il.
Comme lui, des centaines de motards, piliers de la mobilité urbaine, s’immobilisent au premier signal d’alerte, même infondé. Les parkings de minibus et de camions se vident, interrompant les liaisons vers Ciriri, Nguba, Panzi, Cimpunda, mais aussi vers Kavumu, Walungu, Mwenga ou Uvira.
Salumu Kambale Delkis, chauffeur de taxi au parking de Nyawera, se souvient d’une rumeur aux conséquences lourdes.
« Une fausse information annonçait des affrontements imminents entre les Wazalendo et l’AFC-M23 à Bukavu. J’ai préféré rester avec ma femme enceinte pour anticiper une fuite. J’ai perdu un bon contrat ce jour-là. Finalement, il ne s’est rien passé. »
Selon un chauffeur de camion interrogé sous anonymat, « les jours de forte rumeur, nous perdons entre 50 et 70 % des recettes ». Cette paralysie affecte toute la chaîne d’approvisionnement : les produits de première nécessité n’arrivent plus et les prix flambent sur les marchés.
Dans les principaux marchés de la ville (Kadutu, Nyawera, Bondeko ou Feu-rouge l’effet des rumeurs est immédiat. Ces espaces habituellement animés peuvent se vider en moins d’une heure, souvent après la diffusion d’un simple message vocal commençant par : « Bonjour famille… ».
Denise Buhendwa, commerçante au marché central de Kadutu, en témoigne ; « Un message vocal anonyme annonçait une attaque imminente du marché. En moins de quinze minutes, la panique s’est installée. J’ai commencé à emballer mes marchandises pour les évacuer. Finalement, c’était faux. »
Pour les petits commerçants, chaque alerte non vérifiée signifie une perte sèche : pas de vente, pas de revenu quotidien, pas de réapprovisionnement. Dans une économie largement informelle, où la survie dépend des recettes journalières, ces chocs répétés sont insoutenables.
Evelyne, venue du village pour s’approvisionner à Bukavu, explique : « Une rumeur de crépitements de balles m’a empêchée de descendre en ville. Les conséquences sont directes : les enfants passent la nuit sans manger. Il faut arrêter ces fausses informations. »
Face à cette situation de désinformation, la colère monte parmi les acteurs économiques.
« Pourquoi diffuser ces rumeurs sans réfléchir ? Nos enfants dépendent de ce que nous gagnons chaque jour », s’indigne Joceline, vendeuse de bananes à Kadutu.
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Madame Alice, commerçante à Vamaro, déplore une ambiance devenue étouffante avec la désinformation.
« Les fake news créent des conflits inutiles et forcent la fermeture des boutiques et des marchés. Vérifiez avant de partager. Ces rumeurs nous affament. »
À Bukavu, où près de 85 % des emplois relèvent de l’économie informelle, une journée sans activité peut entraîner dettes, faillites et fermetures définitives de micro-entreprises. Plus grave encore, ces fausses alertes détournent parfois l’attention des forces de sécurité, ouvrant la voie à des vols et pillages bien réels.
Les autorités appellent régulièrement à la vigilance et exhortent la population à ne pas relayer les messages non vérifiés et amplifier la désinformation. Mais dans un contexte de faible régulation numérique, la désinformation continue de prospérer.
À Bukavu, la bataille est désormais économique autant qu’informationnelle. Chaque rumeur évitée, c’est une journée de travail sauvée pour des centaines de familles. Dans une ville où l’économie de survie domine, restaurer la fiabilité de l’information est devenu une condition essentielle pour maintenir les transports, faire vivre les marchés et préserver les petits commerces, cœur battant de la vie urbaine.
Cet article est produit dans le cadre du projet : « Renforcement des capacités des jeunes journalistes et activistes pour la paix et la résilience dans l’Est de la RDC », soutenu par le Fonds Kris Berwouts et la Fondation Roi Baudouin.

