Le Premier ministre sénégalais, Ousmane Sonko, a affirmé que la France n’a ni pétrole ni gaz. Cependant, les données des ministères français et de l’Agence internationale de l’énergie montrent que la France a découvert une centaine de gisements et produit du pétrole et du gaz, bien que la production soit faible. Les experts confirment que, factuellement, il est incorrect de dire que la France n’a pas de pétrole et de gaz. Par conséquent, la déclaration d’Ousmane Sonko est incorrecte.
Le 27 Décembre 2024, le Premier Ministre du Sénégal, Ousmane Sonko, a fait sa Déclaration de Politique Générale (DPG) à l’Assemblée Nationale. Une déclaration retransmise en direct à la télévision nationale (RTS1) et par la plupart des médias locaux. Elle a été aussi très suivie par des médias internationaux et a été largement diffusée sur les réseaux sociaux.
Au moment de répondre aux questions et interpellations des députés, Ousmane Sonko, s’exprimant en Wolof, a insisté sur l’importance de la souveraineté budgétaire et financière tout en louant les atouts du Sénégal qui, selon lui, est un pays attractif qui peut compter sur sa jeunesse et sur ses ressources (pétrole, gaz, mer, zircon et terres cultivables…). C’est en ce sens que le premier ministre a fait une comparaison entre les ressources naturelles du Sénégal et celles de la France en ces termes : « La France, a-t-elle une richesse que nous n’avons pas ? La France n’a ni gaz, ni pétrole. Et pourtant l’un des 5 Majors en matière de pétrole est français ». (voir vidéo entre 29 et 38 secondes).
L’argument de base de Sonko est que le Sénégal, qui dispose de toutes les potentialités qu’il a citées, ne devrait plus être perçu comme un pays pauvre.
Notons que dans le passé, Ousmane Sonko avait déjà tenu des propos similaires en public, alors qu’il était encore opposant. C’était le 30 avril 2023, lors d’une visite du leader du parti Pastef-Les Patriotes à Mont-Rolland, une commune située dans la région de Thiès. Dans un discours retransmis en direct sur sa page Facebook, Sonko avait déclaré (en wolof) : « La France a peut-être la mer. Mais elle n’a pas de pétrole, de gaz ou de zircon. La France n’a pas tout ça. Elle vient ici pour en trouver ». (Voir vidéo entre 19mn 21 et 19mn 34). Des médias sénégalais dont Senego et Sénégal live s’étaient fait l’échos de cette déclaration.
Quelle est la source de l’affirmation du Premier ministre sénégalais ?
Nous avons transmis un courriel à la Primature et avons contacté directement un responsable de la communication de cette institution pour connaître la source de l’affirmation du Premier ministre sénégalais. Mais jusqu’au moment de la publication de cet article, nous n’avons pas reçu de réponse.
Que disent les données officielles disponibles ?
Selon les données des ministères français de l’Aménagement du territoire et de la Transition écologique, « soixante-quatre gisements pétroliers et gaziers sont aujourd’hui en exploitation » en France. D’après la même source, à travers des données publiées le 1 octobre 2024 et intitulées Ressources en hydrocarbures de la France, « leur superficie totale représente environ 4 000 km2, principalement dans le Bassin aquitain et dans le Bassin parisien. La plupart de ces gisements ont été mis en production depuis 1980 ».
« En 60 ans d’activité d’exploration et d’exploitation, une centaine de gisements ont été découverts en métropole pour une production cumulée d’environ 100 millions de tonnes de pétrole brut (700 millions de barils) et 300 milliards de m3 de gaz naturel » précise la publication officielle.
« La France, un petit producteur mais un gros acteur parmi les cinq majors »
Francis Perrin, directeur de recherche à l’Institut de Relations Internationales et Stratégiques (IRIS), est spécialiste des problématiques énergétiques. Il a répondu à nos questions par mail. Selon lui, « au cours des dernières années, la production pétrolière française a oscillé entre 600 000 et 800 000 tonnes par an, soit environ 1 % de la consommation pétrolière de ce pays. Cela signifie que la France importe environ 99 % du pétrole qu’elle consomme (même pourcentage pour le gaz naturel) ».
« On ne peut pas dire que la France n’a pas de pétrole puisqu’elle en produit depuis longtemps (même remarque pour le gaz naturel) » a-t-il indiqué.
Ses explications sont appuyées par l’expert Mohamed Julien Ndao. Il est ingénieur et entrepreneur pétrolier franco-suisse et originaire du Sénégal. Ndao a précisé que « de manière factuelle, c’est faux de dire que la France n’a pas de pétrole et de gaz puisqu’elle dispose des réserves de pétrole brut et de gaz. Même si elles sont faibles, (elles) pourraient être exploitées à leur rythme actuel pendant 20 ans ».
Tout comme Francis Perrin, Mohamed Julien Ndao a souligné « la faible production pétrolière et gazière de ce pays » avec de nombreux gisements devenus « pas exploitables de manière économique ». D’après lui, c’est pourquoi de « façon conceptuelle » certains disent que « la France n’a pas de pétrole et de gaz ».
« L’exploitation d’un champ pétrolier ou gazier n’est jamais épuisée à 100 %. Entre 25 % et 30 % des réserves sont sorties. Le reste, restant sous terre. Il faut avoir une certaine technologie qui permet d’extraire 5 à 10 % de plus de ce champ. Ça représente des années et des années de consommation », a conclu Ndao.
En outre, Francis Perrin de l’IRIS a souligné que la France est « un tout petit producteur » et avec un « paradoxe ». Car, « malgré cette très faible production pétrolière depuis des dizaines d’années, la France a un très gros acteur pétrolier (et gazier) qui s’appelle TotalEnergies. Ce groupe est l’une des cinq plus grandes compagnies pétrolières privées internationales que l’on appelle souvent “les Majors”. Les quatre autres sont ExxonMobil, Shell, BP et Chevron. Parmi ces cinq compagnies, trois sont européennes (Shell, BP et TotalEnergies) et les deux autres sont américaines (Etats-Unis) ».
« Les réserves de pétrole brut de la France sont estimées à 10,8 millions de tonnes. Cela ne représente que deux mois de la consommation pétrolière de ce pays », d’après l’expert en problématiques énergétiques.
Les données de l’Agence internationale de l’Énergie sur la France
La France est membre de l’Agence internationale de l’Énergie (AIE), une organisation internationale basée à Paris et créée en 1974 après le choc pétrolier de 1973. L’un de ses objectifs est d’aider les pays membres à coordonner une réponse collective aux perturbations majeures de l’approvisionnement en pétrole.
Selon les dernières données de l’AIE, mises à jour en juillet 2024, la part de la production nationale de pétrole brut est de 1,7% en France en 2023 par rapport à l’offre totale. Ce qui représente 32 800 TJ (TéraJoules, unité de mesure d’énergie du système international ) d’après les données disponibles dans la World Energy Statistics and Balances, la base de données de l’AIE.
Ces données indiquent également que la production nationale française de gaz par rapport à son approvisionnement total était de 0,1% en 2023 avec 663 TJ.
ClassementSur le site de l’AIE, figure un classement mondial de la production nationale de ressources d’hydrocarbures (pétrole brut ou gaz naturel) des pays. Mais ce dernier s’appuie sur des données de 2022. En termes de production nationale de pétrole brut, la France occupait la 70e position à l’échelle mondiale cette année-là avec 33 612 TJ. Quant à la production nationale de gaz, le pays était classé au 83e rang dans le monde en 2022 avec une production estimée à 745 TJ. |
Aux origines du pétrole et du gaz français
« Dès le 18ème siècle, un gisement de pétrole de Péchelbronn, en Alsace » a été exploité, renseigne le site des ministères français de l’Aménagement du Territoire Transition Écologique. Il y est également indiqué que l’exploitation pétrolière « s’est véritablement développée qu’après la seconde guerre mondiale ».
Le Major pétrolier (et gazier) TotalEnergies a retracé, sur son site, l’historique des ressources d’hydrocarbures en France avec des dates clés. On peut y lire :
- En 1924 création de la Compagnie Française des Pétroles (CFP), société privée, sur initiative de l’Etat français pour développer une politique nationale du pétrole
- En 1939 découverte du premier gisement d’hydrocarbures en France, à Saint-Marcet en Haute-Garonne avec sept milliards de mètres cubes de gaz localisés à 1 600 mètres de profondeur dans les Landes et les Pyrénées-Atlantiques par le Centre de recherches de pétrole du Midi. L’exploitation du gisement commence en 1942.
- 1951 la Société Nationale des Pétroles d’Aquitaine (SNPA) découvre un gisement « géant » dont les réserves sont estimées à plus de 200 milliards de mètres cubes de gaz naturel à 3 450 mètres sous terre à Lacq, dans le Béarn. Son exploitation a démarré en 1957
« En plus de 60 ans, le Gouvernement français a reçu plus de 1 700 demandes de titres d’exploration (demandes de permis exclusifs de recherches d’hydrocarbures liquides ou gazeux) et en a octroyé plus de 600 ». Et c’est principalement dans le Bassin parisien, le Bassin d’Aquitaine et le fossé Rhénan. Près de 4 000 forages profonds ont été réalisés », lit-on sur le site des ministères de l’Aménagement du Territoire et de la Transition Écologique. La même source a aussi indiqué que « les bassins sédimentaires connus et propices aux recherches d’hydrocarbures couvrent actuellement une superficie de plus de 200 000 km2 en mer (soit 2 % de la ZEE de la France) et plus de 70 000 km2 à terre (soit 11 % du territoire totale de la France) ».
La loi hulot et la fin de l’exploitation des hydrocarbures à l’horizon 2040
En France, la loi Hulot, du nom de Nicolas Hulot, ancien ministre de la Transition écologique et solidaire ( 2017-2018), a été publiée au Journal officiel le 31 décembre 2017, mettant ainsi fin à la recherche et à l’exploitation des hydrocarbures à l’horizon 2040 dans le cadre d’un « Plan Climat » du 7 juillet 2017.
Elle s’inscrit dans la politique énergétique de la France qui vise à favoriser les énergies renouvelables et à réduire la consommation des énergies fossiles.
Le texte prévoit l’interdiction immédiate de la délivrance de nouveaux permis de recherche d’hydrocarbures. La recherche et l’exploitation de gaz de schiste est interdite. Mais il autorise en revanche les pétroliers à poursuivre l’exploitation sur les concessions accordées avant 2018.
Conclusion : l’affirmation selon laquelle « la France n’a pas de pétrole et de gaz » est incorrecte
Le Premier ministre sénégalais, Ousmane Sonko, a affirmé lors de sa Déclaration de politique générale, le 27 Décembre 2024, que « la France n’a ni pétrole ni gaz ». Une déclaration qu’il avait déjà faite dans le passé alors qu’il était encore opposant.
Toutefois, les données des ministères français de l’Aménagement du territoire et de la Transition écologique montrent qu’en plus de 60 ans d’activité d’exploration et d’exploitation, une centaine de gisements ont été découverts en France pour une production cumulée d’environ 100 millions de tonnes de pétrole brut (700 millions de barils) et 300 milliards de mètres cubes de gaz naturel.
En outre, selon les données les plus récentes de l’Agence internationale de l’énergie, la France a produit 32800 TJ de pétrole brut en 2023. La même source nous renseigne que concernant le gaz naturel, la production nationale française était de 663 TJ en 2023, soit 0,1% de son approvisionnement total.
Les experts consultés ont fait savoir que même si la France a une faible production pétrolière et gazière, de manière factuelle, il est incorrect de dire qu’elle n’a pas de pétrole et de gaz.
Par conséquent, la déclaration d’Ousmane Sonko est incorrecte.